La crise des relèves d'équipages pose une menace pour le commerce et la sécurité maritime, préviennent l'ONU, des entreprises du secteur maritime et des syndicats.

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Le capitaine Hedi Marzougui a joint sa voix à celle des Nations Unies pour demander aux gouvernements d'agir afin de permettre aux gens de mer de rentrer chez eux.

Environ 400 000 gens de mer de partout dans le monde sont présentement bloqués à bord de navires et doivent continuer à travailler, ne pouvant être relevés. La crise des relèves d'équipages s'aggrave, ce qui représente également une menace pour le commerce et la sécurité maritime.
 
Le capitaine Hedi Marzougui, qui était aux commandes d'un navire entre décembre 2019 et mai 2020, a pris la parole lors d'un événement de haut niveau organisé le 24 septembre en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies. Il s'est adressé aux gouvernements, leur demandant d'agir pour permettre aux gens de mer de rentrer chez eux.
 
« Ne pas savoir à quel moment, ni même si nous pourrons rentrer à la maison a un impact important sur la santé mentale de mon équipage et la mienne », a expliqué M. Marzougui. « J'invite chacun d'entre vous à imaginer ce que vous ressentiriez si vous deviez travailler pendant 12 heures chaque jour, sans week-end, sans voir vos proches et en étant coincé en mer. Maintenant, ajoutez le fait que vous devez faire tout cela en ne sachant pas à quel moment vous pourrez être rapatrié. »
 
Les restrictions en matière de voyages et de transit, qui ont été imposées en raison de la pandémie de COVID-19, ont eu d'importantes répercussions pour les gens de mer.  Bien que de nombreuses voix se soient élevées pour demander aux gouvernements de désigner les gens de mer à titre de travailleurs clés et de faciliter leurs déplacements, le nombre de marins dont les contrats ont été prolongés de plusieurs mois ne cesse d'augmenter. Certains d'entre eux sont maintenant en mer depuis 17 mois d'affilée, ce qui va bien au-delà de la limite de 11 mois fixée par la Convention du travail maritime (CTM). En plus des quelque 400 000 marins qui sont toujours bloqués en mer, on estime que 400 000 autres sont incapables de se rendre jusqu'aux navires pour les relever.
 
Cette situation contrevient aux principes fondamentaux sur lesquels s'appuient les normes de sécurité des navires développées par l'Organisation maritime internationale au cours des six dernières décennies, a déclaré le Secrétaire général de l'OMI, Kitack Lim, lors de l'événement qui a rassemblé des dirigeants et représentants d'entreprises internationales, du secteur maritime, de gouvernements, des Nations Unies et de syndicats.
 
« On demande à des marins épuisés physiquement et mentalement de continuer à manœuvrer les navires, a déclaré M. Lim. Au moment où plus de 60 000 navires de charge continuent de transporter des biens essentiels, notamment des denrées alimentaires et de la nourriture, la sécurité des navires est en jeu et la vie des gens de mer est rendue impossible. La sécurité de la navigation est en péril. »
 
Le Secrétaire général a réitéré son appel aux gouvernements. « Il faut agir, et il faut le faire maintenant. Nous dépendons tous des gens de mer. Ils ne devraient pas être les victimes collatérales de cette pandémie. Les gens de mer livrent la marchandise pour nous. Maintenant, nous devons faire de même pour eux. »
 
Dans une déclaration écrite qui a été lue lors de l'événement virtuel visant à souligner la Journée mondiale de la mer 2020, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, s'est dit profondément préoccupé par la crise humanitaire qui touche les gens de mer. Il a une nouvelle fois demandé aux gouvernements « d'agir pour remédier à cette situation critique en désignant les marins et le reste du personnel du secteur maritime comme travailleurs essentiels, en garantissant que les changements d’équipage soient effectués en toute sécurité et en appliquant les protocoles élaborés par les organismes des Nations Unies, la Chambre internationale de la marine marchande et la Fédération internationale des ouvriers du transport, de sorte que les marins bloqués à bord de navires soient rapatriés et que d’autres puissent rejoindre leur lieu de travail. »
 
Dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies, les dirigeants de 30 sociétés du Consumer Goods Forum, dont Unilever et Danone, ont appelé les gouvernements à désigner les marins comme travailleurs clés et ont soulevé de vives inquiétudes quant aux droits de la personne, déclarant que « la situation actuelle a malencontreusement créé une forme moderne de travail forcé. »
 
Le responsable de la chaîne d'approvisionnement chez Unilever, Marc Engel, a affirmé qu'il était nécessaire de permettre les relèves d'équipage sans délai et en toute sécurité. « Quand les navires s'arrêtent, tout le reste s'arrête aussi. Nous nous approchons maintenant d'un point de rupture tout à fait évitable et qui pourrait se répercuter sur l'économie. Même une interruption temporaire pourrait faire basculer des entreprises et des pays », a-t-il ajouté. La vice-présidente exécutive de A.P. Moller-Maersk, Henriette Hallberg Thygesen, a insisté sur l'importance que les paroles soient suivies par des actes.
 
La directrice exécutive du Pacte mondial des Nations Unies, Sanda Ojiambo, a encouragé les entreprises à interpeller les gouvernements afin qu'ils mettent fin aux abus dont souffrent les gens de mer. Elle a souligné que les dix principes du Pacte mondial des Nations Unies représentent les fondements du développement durable des entreprises, et que ceux-ci sont « liés à la crise humanitaire, économique et de sécurité qui se déroule en mer. »
 
Le Secrétaire général de la Chambre internationale de la marine marchande, Guy Platten, et le Secrétaire général de la Fédération internationale des ouvriers du transport, Stephen Cotton, ont tous deux demandé aux gouvernements d'intervenir pour mettre fin à la crise des relèves d'équipages. Ils ont prévenu que le nombre de marins touchés ne ferait qu'augmenter à défaut d'une action concertée de la part des gouvernements.
 
Le directeur général de l'OIT, Guy Ryder, a appelé les gouvernements à mettre en œuvre des solutions urgentes et pragmatiques afin d'assurer le respect des droits des gens de mer. « Les marins sont épuisés et ne peuvent tout simplement pas continuer à travailler à bord indéfiniment », a déclaré M. Ryder.
 
Des ministres du Canada, de la France, du Kenya, de Panama et des Philippines ont également pris la parole lors de cet événement virtuel. Ils ont invité d'autres gouvernements à suivre leur exemple en désignant les marins comme travailleurs essentiels, en mettant en place des mesures pour permettre les relèves d'équipages et en facilitant les déplacements des marins.
 
La réunion a été organisée par le Pacte mondial des Nations Unies, l'OMI et l'OIT, en collaboration avec la Chambre internationale de la marine marchande et la Fédération internationale des ouvriers du transport.
 
Un enregistrement de l'événement est disponible ici : https://bit.ly/3mIKRCV